Illustration Tomer Hanuka.
Économie

Les États-Unis sont-ils encore un allié ou un risque ?

Les États-Unis sont-ils encore un allié ou un risque ?

Pierre Conesa

Conférence du 20 décembre 2018 – Extraits

Transcription de Laetizia Graziani
Article original : Les États-Unis sont-ils encore un allié ou un risque ?
Origine de la vidéo : AuCOFFRE.com

Nous allons traiter différents facteurs de déstabilisation des marchés financiers.

La première concerne la façon de penser des États-Unis. Les États-Unis sont-ils encore un allié ou un risque ? C’est une question qui peut vous paraître surprenante. Pourtant dès le déclenchement de la guerre en Irak on pouvait déjà se poser la question. Si le président Chirac avait refusé d’y aller c’est qu’il y avait déjà des doutes sur le type de rapports qu’on pouvait avoir avec les États-Unis.

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L’extra-territorialité du droit américain

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C’est l’ensemble des dispositifs américains qui sont intéressants à lister pour comprendre cette espèce de mécanique politico-économique américaine.

Le département de la justice américain c’est 7 milliards de dollars par an, et 40.000 fonctionnaires, avec l’aide de tous les services de renseignement américains.

Rappel historique 

En 1977 les Américains avaient été piégés par le scandale Lockeed-Martin en Italie c’est-à-dire que le fabricant Lokheed avait payé des pots-de-vin importants aux hommes d’affaires italiens et avait été épinglé par la justice américaine. Après cette condamnation, protestation des industriels américains disant : si vous nous empêchez de corrompre, c’est une distorsion de concurrence donc il faut internationaliser la lutte contre la corruption. C’est comme ça que ça s’est passé.

Et donc en 1997 dans le cadre de l’OCDE on a fait la Convention internationale contre la corruption des agents publics dans les marchés étrangers, c’est-à-dire une manière d’étendre la lutte anti-corruption née aux États-Unis sur une grande partie de la planète. La justice américaine s’est donné le droit, à partir de ce moment-là, de se sentir compétente quel que soit le type de corruption, à partir du moment où l’entreprise a un lien même minime avec les États-Unis. Quand je dis minime, cela signifie : avoir une filiale aux États-Unis ; avoir fait une transaction en dollars ; ou même avoir tout simplement une adresse mail qui est gérée par un serveur américain. Et à partir de ce moment là la justice américaine considère qu’elle peut être compétente pour réprimer une affaire de corruption.

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La justice américaine est utilisée
comme instrument de suprématie économique

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Tout cela serait bel et beau si ça ne servait pas à utiliser la justice américaine comme un instrument de suprématie économique.

Et pour vous donner un exemple :

● Dans les deux dernières années, les entreprises européennes ont payé 60 milliards de dollars de pénalités ou d’amendes décidées par la justice américaine.

● 60% des amendes payées à la justice américaine l’ont été par des entreprises européennes.

Vous voyez tout de suite la distorsion. C’est-à-dire que les sanctions du droit extraterritorial américain ciblent les entreprises européennes plus que les entreprises américaines.

Je fais un petit retour en arrière qui est important à comprendre. Quand on a fait la convention OCDE sur la lutte contre la corruption dans les marchés étrangers, il y a eu de grandes déclarations d’intentions, tout le monde était d’accord, ils ont dit on va arrêter les grands marchés de la corruption. Et puis ensuite chacun est reparti chez soi en essayant de réfléchir aux moyens de stériliser cette convention :

Les Japonais ont considéré que la corruption n’était pas un acte judiciaire c’était un acte commercial donc c’est le métier qui doit s’en occuper.

Les Américains ont dit oui mais c’est pas pareil de payer un fonctionnaire du tiers-monde pour que le dossier avance et donc ça c’est pas vraiment de la corruption. Ensuite ils ont inventé un truc très intéressant qui s’appelle le « pleed bargaining » c’est-à-dire qu’une entreprise qui est entre les griffes de la justice américaine peut négocier l’amende, si elle accepte et si à ce moment-là elle collabore. Nous allons voir quelle est l’utilité de ce genre de convention.

Les seuls qui sont aujourd’hui dans une situation d’application complète de la convention OCDE sur la corruption dans les marchés étrangers sont en fait les Européens.

Cette extension du pouvoir du département de la justice américaine est un formidable outil de lutte politico-économique, je vais vous en donner quelques exemples.

La France entre 2014 et 2016 a payé 20 milliards de dollars de pénalités, par ses entreprises évidemment. Ce qui fait à peu près 200 euros par habitant et par an. Vous ne les avez pas vu passer mais ne vous inquiétez pas en gros ça veut dire à peu près ça.

BNP Paribas c’est le record puisque à elle seule cette banque a payé 8 milliards d’euros sur une affaire de corruption qui ne concernait pas les États-Unis, simplement la transaction s’était faite en dollars. La justice américaine peut arrêter des cadres et des dirigeants d’entreprises européennes quand ils sont sur le territoire américain. Ca s’est déjà vu avec Eurocopter. J’ai des amis d’Eurocopter qui n’ont plus la possibilité aujourd’hui d’aller aux États-Unis même si la question est réglée.

Quels autres beaux succès dans cette politique économique ?

Alcatel a été mis en examen par la justice américaine pour une affaire de corruption de notre politique du Costa Rica. Ne me demandez pas quel est le rapport… Ce qui est certain c’est que la justice américaine s’est senti compétente dans la négociation politico-juridico-économique qui s’est passée, Alcatel n’a pu se sortir du procès qu’en rachetant Lucent. Lucent était une entreprise qui était en mauvais état. Alcatel Lucent a fait naufrage, le tout a été aujourd’hui racheté par Nokia.

L’opération la meilleure et la plus intéressante à mon avis ça a été l’affaire Alstom.

Alstom a été mis en examen par la justice américaine pour une affaire de corruption en Indonésie. Donc immédiatement le cours d’Alstom a baissé sur tous les marchés et évidemment plus le dossier juridique avançait, plus l’importance de la pénalité montait et plus le cours d’Alstom baissait. A la suite de quoi General Electric et notamment General Electric Europe qui était à l’époque dirigé par un ancien ministre français madame Clara Gaymard a proposé de racheter Alcatel surtout la branche énergie. General Electric a donc pu racheter évidemment à un meilleur prix une entreprise qui était en difficulté avec la justice américaine. Dans le marché fait avec General Electric, donc au cours le plus bas, General Electric s’engageait à payer l’amende, qui évidemment était moins importante que prévu.

Donc c’est un instrument de justice extra-juridictionnelle qui est en fait véritablement utilisé pour des motifs économiques et industriels.

Aujourd’hui quand vous pensez que Total, Areva et Airbus sont dans les petits dossiers de la justice américaine, on aurait raison de s’inquiéter.

Que fait l’Europe confrontée à cela ? L’Europe réplique avec les grands opérateurs du net.

La tradition pour les entreprises américaines c’est l’optimisation fiscale en Europe. Je vous rappelle qu’en Europe avant le départ des Britanniques, il y avait environ une cinquantaine de paradis fiscaux à l’intérieur de l’Union européenne. Je ne vous parle pas des îles Tuvalu, je vous parle de Gibraltar, des îles anglo-normandes et des îles néerlandaises etc. L’optimisation fiscale est évidemment un moyen très important de coincer les grands opérateurs du net et donc si je me souviens bien la Commission européenne a condamné Apple à une amende de 13 milliards et seulement 2 milliards à Google.

On est en plein dans cette guerre aujourd’hui, des rapport de forces qui sont profondément déstabilisants pour l’activité économique.

Nous venons donc de voir le plan juridico-économique.

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Les embargos américains

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Deuxième problème qui peut avoir des effets importants encore sur les marchés financiers, cette fois c’est le plan diplomatique avec la décision américaine d’appliquer des embargos unilatéraux c’est-à-dire des embargos qui ne sont pas du fait de l’Union européenne mais que les entreprises de l’Union européenne sont obligées de respecter.

● Cuba est toujours sous embargo depuis 1959.

● Le Venezuela

● L’Iran

La violation d’un embargo par une entreprise étrangère peut donner lieu à une saisine de la justice américaine. Dans le cas de l’Iran beaucoup d’entreprises après la signature de l’accord nucléaire ont pensé qu’elles pouvaient commencer à investir, mais ells ont été obligées de quitter l’Iran du jour au lendemain, parfois avec de grosses pertes, parce que Trump a décidé unilatéralement que les États-Unis appliqueraient des sanctions.

Ce que nous venons de voir concernait donc l’activité politico-économique.

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Les États-Unis se sont retiré
des accords internationaux de sécurité

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Maintenant nous allons voir un autre facteur de déstabilisation qui est beaucoup plus mon domaine, c’est la façon dont les États-Unis ont complètement démantelé toute l’architecturé internationale de sécurité depuis l’époque de George Bush. Pourquoi je dis ça ? Parce que dans les rapports est-ouest, finalement on était arrivé à une certaine médiation URSS-États-Unis pour qu’avec des accords de limitation des armements, on arrête cette espèce de course folle qui était la course aux armements.

● Ça a commencé avec le démantèlement du traité antimissiles ABM. C’était un traité qui avait pour but de limiter la course aux missiles intercontinentaux.. George Bush a dénoncé ce traité (en 2002)

Illustration Tomer Hanuka.

● Les Américains n’ont jamais voulu signer la convention contre les mines antipersonnelles en expliquant que leurs troupes en Corée en avaient besoin.

● La convention sur les armes chimiques a été signée, mais jamais ratifiée parce que les industriels américains considèrent que l’un des mécanismes de contrôle, qui s’appelle le contrôle par défi – si vous pensez qu’un pays est en train de fabriquer des armes chimiques, vous pouvez demander un contrôle par des ingénieurs de l’OMC qui vont venir vérifier si ce que vous dites est vrai ou faux. Les industriels américains ont dit ça on n’en veut pas, parce que c’est de la violation du secret industriel.

● Les armes biologiques : les Américains l’ont signée. Il y a eu une crise qui s’appelait la crise de l’anthrax qui a immédiatement suivi les attentats du 11 septembre. On sait très bien que cet anthrax était de l’anthrax militarisé qui venait d’un laboratoire américain. C’était une manière comme une autre d’appliquer l’interdiction des armes chimiques…

● Donald Trump a dénoncé unilatéralement le traité sur les armes intermédiaires c’est-à-dire les SS20 et les perchings. Pourquoi ? Parce que Trump est totalement imprévisible et on accepte de se soumettre, il n’y a aucune régulation.

● La CPI (Cour pénale internationale), traité de Rome, celui qui a été proposé par Bill Clinton, n’a jamais été ratifiée par le Congrès considérant qu’aucun Américain ne pouvait être jugé par la cour pénale internationale. Donc heureusement, sinon il aurait fallu faire passer George Bush devant la Cour pénale internationale, heureusement qu’ils avaient pris cette précaution.

Donc on est dans le scénario aujourd’hui – ce sont surtout les questions stratégiques qui m’intéressent – de la possibilité qu’il y ait une guerre décidée unilatéralement par les États-Unis. Le scénario Trump d’une guerre contre l’Iran est un scénario parfaitement envisageable. Rappelez-vous que la dernière fois qu’une guerre illégale a été déclarée, qui a porté évidemment un préjudice extraordinaire à toutes les démocraties était la guerre en Irak, la moitié de l’Europe a suivi les États-Unis.

Donc on est dans une situation stratégique dans laquelle j’estime aujourd’hui que les États-Unis sont un risque sur le plan international beaucoup plus qu’un allié.

NB : Je n’ai transcrit que la première partie de la conférence, qui concerne les Etats-Unis.
Laetizia Graziani

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