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Entretien sur le Frexit

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Entretien sur le Frexit

par Charles-Henri Gallois et Eric Verhaeghe

Transcription de l’entretien par Laetizia Graziani

Le 22 janvier 2021.

Le Courrier des Stratèges a reçu Charles-Henri Gallois, leader du mouvement Génération Frexit qui porte actuellement une pétition pour un referendum sur un Frexit. Cette pétition peut être signée sur le site : http://www.referendum-frexit.org

Charles-Henri GALLOIS est l’auteur de Les Illusions économiques de l’Union Européenne.


Charles-Henri GALLOIS souhaite un référendum sur l’appartenance de la France à l’Union européenne et lance une pétition dans ce but (…) (je n’ai pas transcrit ses quelques propos sur la pétition – cf le site sur le sujet).


Le traité d’Amsterdam a transféré
une grande partie de la compétence en matière
d’immigration de la France à l’U.E.


Charles-Henri Gallois : Depuis le traité de Maastricht (1992) il y a eu un transfert de souveraineté. Idem avec le traité d’Amsterdam en 1999 qui a transféré une grande partie de la compétence en matière d’immigration de la France à l’U.E. Les Britanniques qui ont quitté l’U.E. ont pu mettre en place un système d’immigration choisie.

Le traité de Nice en 2001 a amené des élargissements successifs de l’U.E. à l’est, en 2004, 2007 et permis une concurrence déloyale des pays d’Europe de l’est qui ont un niveau de vie très différent – concurrence déloyale à la fois fiscale, sociale, au sein même du marché unique.

Il y a eu en 2012 le TECG qui a mis encore plus dans la main de l’U.E. toutes les politiques économiques et sociales, parce que certes, il y avait des recommandations et des directives avant, mais avec le TECG il y a la menace d’une amende représentant 0,2% (?) du PIB…

Eric Verhaeghe : Qui n’est jamais appliquée.

Charles-Henri Gallois : Qui n’est pas appliquée parce que justement tous les pays finissent par obéir, souvenez-vous du gouvernement italien de coalition avec le M5s qui a dû revoir son budget car il ne convenait pas à l’U.E.

Le Brexit a un impact sur les finances de l’U.E. puisque le Royaume Uni était un grand contributeur net. Le Royaume Uni est sorti, malgré cela le budget de l’U.E. est en hausse et la contribution de la France à l’U.E. va augmenter à partir de 2021 de 5 milliards d’euros, c’est colossal surtout quand on est en pleine crise dûe au Covid19.

Eric Verhaeghe : La France va passer grosso modo de 19 milliards de contribution à 25 milliards d’euros de contribution à l’U.E.

Charles-Henri Gallois : La France passe en facial à 27 milliards, mais en réalité il y a 2 milliards qui sont toujours cachés, ce sont les fameuses « ressources propres de l’U.E. » qui sont finalement siphonnées sur la base fiscale des Etats avec notamment une partie des droits de douane et des taxes sur le sucre, cela représente 2 milliards d’euros/an, au total on en est à 29 milliards d’euros de contribution, pour en récupérer environ 16, il y aura donc environ 13 milliards d’euros nets pour l’U.E. à partir de 2021.


La France paiera environ 13 milliards d’euros nets
de contribution à l’U.E. en 2021


Et sur le plan des coûts financiers il y a aussi le fameux plan de relance de l’U.E. dont on n’a toujours pas vu le premier euro. On va récupérer 40 milliards d’euros, les medias en parlent beaucoup, mais on ne nous dit pas que la France va payer 80 milliards d’euros en contrepartie. Donc la contribution de la France sera de 40 milliards d’euros. En plus de ça c’est comme avec le budget de l’U.E., la France n’a pas la libre utilisation des fonds qui lui reviennent, c’est l’U.E. qui lui dit vous pouvez les utiliser de telle et telle façon. De plus, ces fonds sont versés accompagnés d’une obligation de mener des réformes économiques et sociales et les fonds ne seront débloqués QUE si ces réformes sont menées. Vous connaissez déjà ces réformes pour la France, c’est la réforme des retraites, de l’indemnisation chômage, Bruno Lemaire a déjà dit qu’il faut faire cette réforme et Isabelle Borne l’a annoncée pour l’assurance chômage.


La contribution de la France au plan de relance
de l’U.E. sera de 40 milliards d’euros nets.


Eric Verhaeghe : Est-ce que cela signifie que vous trouvez bien qu’on ait un régime de retraite qui cumule bon an mal an 25 milliards de déficit ?

Charles-Henri Gallois : Le Frexit est avant tout une question de souveraineté. Est-il normal qu’une entité extérieure comme l’U.E. impose ces réformes à la France ?

Eric Verhaeghe : Est-ce que si la France n’appartenait pas à l’U.E. elle pourrait emprunter à taux négatif comme elle le fait aujourd’hui ? Ou quasiment. Est-ce qu’elle aurait la faculté de s’endetter autant qu’aujourd’hui avec l’U.E. grâce à la signature de l’épargnant allemand qui constitue une garantie de taux bas ?


Si la France n’appartenait pas à l’U.E. pourrait-elle emprunter à taux négatif comme elle le fait aujourd’hui ?


Charles-Henri Gallois : On voit à l’heure actuelle avec l’excès de liquidités au niveau mondial, si on prend des pays comparables Australie, Canada etc, tous les taux sont bas à peu près partout dans le monde.

Eric Verhaeghe : Mais ces pays ont des déficits publics moins élevés. Est-ce que la France pourrait s’endetter autant, et est-ce que nous pourrions vivre autant au-dessus de nos moyens sans la signature de l’épargnant allemand ? Est-ce qu’on aurait la même capacité d’endettement si on sortait de l’U.E. ?

Charles-Henri Gallois : Je prends la question dans l’autre sens. Dans les déficits publics il y a évidemment une part de mauvaise gestion, de gabegie, mais le déficit public est causé en grande partie par une croissance faible et surtout des dépenses sociales, notamment des dépenses pour le chômage qui sont très élevées parce que la France souffre entre autres d’un euro trop cher, ce qui fait qu’on a une capacité de croissance qui est en-deçà de ce qu’elle serait si on n’était pas dans l’euro et c’est la même chose pour le chômage, c’est-à-dire que l’on aurait beaucoup plus de cotisants et beaucoup moins de prestations chômage à payer. La France ne dispose pas d’une monnaie adaptée à son économie, ce qui creuse à chaque fois le déficit.

Eric Verhaeghe : J’entends votre argument : « on a un euro trop cher », ce qui est vrai. Mais supposons que l’on revienne au franc germinal ou à n’importe quelle monnaie nationale qui serait moins chère que l’euro, cela signifierait… – on souligne les inconvénients de l’euro, mais il faut aussi parler des avantages – les gens drogués à l’iphone, au smartphone, à tous les produits high tech fabriqués à l’étranger et importés en France, est-ce que vous leur dites clairement que si la France sort de l’euro, ils auront une monnaie qui, si la France est gérée comme aujourd’hui avec des déficits exponentiels et une gabegie bureaucratique, si on continue comme cela sans faire d’efforts, le prix de l’iphone augmentera de 25 ou 50%, le prix des biens importés augmentera de façon colossale?

Lorsque la France n’était pas dans un système monétaire européen, avant l’euro, souvenons-nous en 1982 François Mitterrand a imposé le contrôle des changes et donc a interdit aux Français d’avoir des monnaies étrangères pour éviter des dévaluations cataclysmiques. Si on est entrés dans le système monétaire européen, c’est parce que les Français ne voulaient plus du contrôle des changes, comme dans les pays communistes. L’alternative lorsqu’on a une gestion dépensière comme c’était le cas de François Mitterrand, l’alternative à l’euro cher, une monnaie nationale, se transforme en un système de dictature monétaire c’est-à-dire que les Français ne pourront plus sortir de monnaies pour éviter des dévaluations colossales. Il faut le dire, ce sont des faits historiques. En 1982 on a eu un contrôle des changes parce qu’on ne voulait pas diminuer les dépenses publiques et nous avions notre propre monnaie.

Charles-Henri Gallois : Les produits technologiques, c’est un très bon exemple. On n’est plus justement dans les années 70, 80, on est sur des marchés très concurrentiels. L’euro a perdu 25% de sa valeur et le prix des Iphones, des téléviseurs fabriqués en Corée ou en Chine n’a pas pris 25% d’augmentation justement parce que l’on est dans un marché concurrentiel. Même au Royaume Uni, les prix n’ont pas augmenté.

Eric Verhaeghe : Le marché européen représente pas loin de 500 millions de consommateurs. Un petit marché de 60 ou 70 millions de consommateurs n’aurait pas le même poids de négociation qu’avec l’euro qui est une monnaie internationale.

Charles-Henri Gallois : Ce n’est pas par la négociation que les prix peuvent baisser, les distributeurs sont prêts à rogner sur leurs marges pour garder les parts de marché. Un marché de 70 millions de consommateurs n’est pas un petit marché. Je pense que ces problèmes là sont gérables. Il y a des économies à faire au niveau européen et quand on parle du mille-feuilles au niveau régional parce qu’on a vu que là les coûts ont explosé.

Eric Verhaeghe : Des économies à faire sur le mille-feuilles concrètement cela signifie des suppressions massives d’emplois de fonctionnaires.

Charles-Henri Gallois : Au niveau de la région on n’a pas besoin d’un conseil régional avec plein d’élus, experts etc. Au niveau de la région il pourrait y avoir, comme il y avait avant, un petit organisme de coopération interdépartementale. Les coûts au niveau de la région ont explosé. Je ne parle pas des coûts au niveau de l’UE. qui sont évidemment massifs, il y a des économies à faire de ce côté là, c’est la même chose au niveau des intercommunalités c’est très coûteux.


Combien faut-il supprimer d’emplois de fonctionnaires
si on fait le Frexit ?


Eric Verhaeghe : Concrètement il faut supprimer combien d’emplois de fonctionnaires si on fait le Frexit ? Combien de fonctionnaires faut-il licencier en France pour faire des économies ?

Charles-Henri Gallois : Je ne l’ai pas chiffré en nombre de fonctionnaires mais j’ai noté qu’au niveau des régions il y aurait 6 milliards d’économies à faire.

Eric Verhaeghe : Le coût moyen d’un fonctionnaire c’est 40.000€/an. Pour faire 6 milliards d’économies, il faut supprimer combien d’emplois? Il faut dire clairement aux gens : le Frexit nous évitera la dictature européenne mais ça fera tant de fonctionnaires licenciés, tant de suppression de dépenses publiques. Certains croient que le Frexit nous permettra de dépenser sans limites. Pouvez-vous leur dire combien de postes de fonctionnaires on supprime en cas de Frexit?

Charles-Henri Gallois : Je ne l’ai pas étudié au niveau des personnes et ne vais pas vous donner un chiffre bidon. On sait ce que nous coûte l’U.E.

Eric Verhaeghe : Mais vous validez l’idée que si l’on fait un Frexit, on supprimera des postes de fonctionnaires.

Charles-Henri Gallois : Si on regarde les fonctionnaires des régions et ceux de l’U.E. ce n’est pas un nombre pharamineux. Il y a aussi un tas de coûts annexes.

Eric Verhaeghe : Est-ce que vous admettez qu’il y a un déséquilibre dans la présentation que vous faites parce que vous citez les avantages du Frexit – et j’en suis convaincu comme vous – mais vous ne dites pas clairement le coût que cela représente en termes de diminution des dépenses publiques, en termes d’efforts à fournir, en termes de suppression d’emplois, et ce qui me gêne dans la présentation que vous faites, c’est que l’on fait miroiter les avantages du Frexit, mais on ne dit pas clairement aux gens le coût que ça va représenter en terme social. Combien coûterait le Frexit aux Français ? Ils imaginent que l’appartenance à l’UE. les empêche de dépenser comme ils veulent. Il suffirait de sortir de l’U.E. pour pouvoir dépenser comme on veut. Vous dites qu’en réalité cela va nous obliger à faire des économies. Je suis aussi partisan du Frexit. Mais il faut dire aux Français que cela va obliger à gérer les dépenses publiques de façon beaucoup plus rigoureuse qu’aujourd’hui.


Notre appartenance à l’U.E. aujourd’hui
permet des dépenses publiques colossales
que ne permettra pas le Frexit.


Le Frexit je suis pour. Mais de mon point de vue c’est malhonnête de ne pas expliquer aux gens que le Frexit entraînera le retour à l’orthodoxie budgétaire. Faire croire aux gens que le Frexit est la garantie de pouvoir dépenser sans limites est de mon point de vue une malhonnêteté intellectuelle parce que ce n’est pas vrai. Sauf à vouloir refaire le contrôle des changes. Sauf à vouloir être attaqués [attaque contre la monnaie ndlr]. Sauf à avoir une inflation colossale qui va ruiner les épargnants et faire souffrir les salariés. Ce qui me gêne dans la position favorable au Frexit aujourd’hui c’est qu’elle est portée par des gens qui ne disent pas franchement aux Français : le Frexit entraînera l’obligation d’avoir moins de fonctionnaires, moins de dépense publique, on ne pourra plus avoir des déficits budgétaires extravagants comme aujourd’hui si on est tout seuls, sans la signature de l’épargnant allemand. Je suis pour le Frexit mais il aura un coût social dont les partisans du Frexit ne parlent pas.

Charles-Henri Gallois : Depuis 30 ans, depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, il est normal de faire un bilan et de consulter les Français pour savoir s’ils souhaitent rester étant donné que les conditions d’appartenance à l’U.E. ont changé. Si on est démocrate il est normal d’avoir ce débat et de tenir un référendum. Un vrai référendum qui soulèvera de vraies questions et de vrais débats. Contrairement au référendum sur le climat que veut faire Emmanuel Macron alors que le climat fait déjà partie du bloc de constitutionnalité et la France est déjà engagée avec le pacte vert européen depuis 2009, en gros c’est faire un référendum pour une décision qui est déjà prise, ce n’est pas sérieux.

On me dit que la majorité des Français n’est pas favorable au Frexit. Au Royaume-Uni un an avant le référendum sur le Brexit, le maintien (dans l’U.E.) était donné vainqueur à 66%. En France les sondages fin 2004 donnaient le oui à la constitution européenne à 69%, entre-temps il y a eu un débat, les Français ont pu être informés, et pourtant le débat était biaisé dans les medias – ils ont finalement voté non à 55%. S’il y a un référendum, c’est le seul moment où on peut avoir un vrai débat et les Français pourront trancher.

Eric Verhaeghe : Des gens comme Asselineau font croire aux Français que s’ils quittent l’U.E. ils pourront avoir plus de dépenses publiques et plus de déficit, il suffirait de revenir sur la loi de 1972, d’avoir une banque nationale qui fait tourner la planche à billets et il n’y aurait plus de limites budgétaires.

Charles-Henri Gallois : On peut monétiser une partie mais pas tout ce serait de la folie cela créerait de l’inflation on ne peut pas le manier n’importe comment. On ne peut pas promettre de tout monétiser, ça ne s’est jamais fait dans l’histoire. On ne peut pas tout promettre, mais on peut promettre de reprendre le contrôle c’est-à-dire d’avoir des lois qui sont décidées par les gens qu’on élit c’est la base de la démocratie. Aujourd’hui qu’on vote à droite ou à gauche c’est à peu près la même politique et il n’y a pas cet espoir démocratique que l’on a aujourd’hui au Royaume-Uni. Le principal argument pour sortir de l’U.E. est démocratique (avant d’être économique). Bien qu’il y ait aussi beaucoup d’arguments économiques.

Eric Verhaeghe : Parlons des arguments économiques. Les Français instinctivement ont compris que l’appartenance à l’U.E. leur permet de faire un grand troc avec l’Allemagne. On perd nos usines et on est domestiqués économiquement par les Allemands mais comme des passagers clandestins on profite de la signature allemande pour s’endetter à 0%.


Au fond il y a un grand troc, on a du chômage massif
mais on vit bien et c’est mieux que de devoir vivre tout seuls
et de devoir faire des efforts tout seuls.


Je pense qu’une majorité de Français est dans cette logique de passagers clandestins qui personnellement ne me paraît pas souhaitable. L’acceptation de l’U.E. aujourd’hui en France est liée au fait que beaucoup de Français, entre bosser beaucoup pour s’en sortir et s’enrichir et finalement avoir beaucoup de chômeurs qui vivent correctement grâce à la garantie allemande, préfèrent la 2e solution. Je pense que l’arbitrage est là.

Charles-Henri Gallois : Je ne crois pas que ce soit le raisonnement des Français. Il ne faut pas confondre le raisonnement des élites qui ont d’une part renoncé à la France et d’autre part qui se complaisent dans la non-décision et la soumission devant l’Allemagne et l’U.E. Je pense que vous confondez le choix des élites et celui des Français.

Eric Verhaeghe : Quelles sont les illusions économiques de l’U.E. ?

Charles-Henri Gallois : Les illusions économiques de l’U.E. c’est ce qu’on entend tout le temps c’est de dire par exemple que l’union fait la force et qu’un pays comme la France ne pourrait pas s’en sortir seul. On le voit pour la vaccination et la leçon que le Royaume-Uni est en train de donner à l’U.E. avec une avance colossale sur l’U.E. Le pdg de Moderna (multinationale pharmaceutique) explique dans l’Express que les négociations avec la France étaient bien avancées et quand le dossier et arrivé au niveau européen il ne s’est rien passé pendant 3 mois et par conséquent l’U.E. a un train de retard sur la vaccination. Ce n ‘est pas une question de nombre. On peut prendre l’exemple du Ceta, le Canada a très bien négocié seul l’accord du Ceta, le Canada a deux fois moins de population que la France. Le Royaume-Uni a reproduit avec 90% des autres pays du monde les accords que l’U.E. avait faits. Dire qu’un pays seul ne pourra rien faire est absurde. Quand on prend les pays les plus riches au niveau mondial, beaucoup sont petits par exemple la Suède.

Eric Verhaeghe : Un pays seul peut s’en sortir à condition de faire des efforts et ce qui me gêne dans les discours sur le Frexit c’est que l’on oublie cette deuxième proposition, et on dit aux gens : vous vous en sortirez mieux seuls sans effort qu’en groupe sans effort. Ce qu’il faut dire c’est qu’on peut s’en sortir seul mais avec beaucoup plus d’efforts qu’en profitant de la manne allemande.

Ce qui me gêne est ce que j’appelle une injonction paradoxale sur ce point, c’est ceux qui disent : « on veut davantage de démocratie » mais pour le défendre, eux-mêmes ne sont pas transparents.

Et on oublie de dire aux Français qu’être tout seuls sans l’épargnant allemand, cela signifie moins de fonctionnaires, ça veut dire un plan de départ de la fonction publique, ça veut dire taper dans les dépenses et ça veut dire réduire les déficits dans des proportions qui paraissent inimaginables aux Français aujourd’hui. Ce qui me gêne est qu’on ne dit pas aux gens que le Frexit aura un coût social et les fonctionnaires dans les conseils régionaux qui travaillent peu, on ne pourra plus se les payer, et il faudra dire aux gens : vous êtes fonctionnaire, on vous licencie.

Il faudra dire aux écologistes que leur modèle de société sans pollution, c’est du pipeau. Aujourd’hui beaucoup disent très consciemment : si l’on veut une société sans pollution, sans usines, on utilise la Chine comme l’atelier du monde, et on n’est pas pollués. Chez nous on a un mode de vie totalement artificiel, hors sol, un Disneyland qui n’est pas polluant, où il n’y a pas d’ouvriers, où il n’y a pas d’usine, où il y a des déficits publics, tout cela est financé par la transformation de la France en un grand parc.

Charles-Henri Gallois : Le coût social c’est aujourd’hui. Tout cela ne peut durer parce qu’au niveau international un pays qui ne fait plus d’agriculture et d’industrie, qui fait des services mais ça reste marginal, au niveau mondial c’est un pays qui va vivre un déclassement et on commence à le voir. Et la covid accélère cette tendance. Le premier acte écologiste véritable consiste à relocaliser la production.


Le premier acte écologiste véritable
consiste à relocaliser la production.


Eric Verhaeghe : Est-ce que vous pourrez dire clairement aux écologistes qui ne veulent plus d’usines, plus de fumées polluantes, que vous voulez plus d’usines polluantes en France ?

Charles-Henri Gallois : Le projet c’est de relocaliser parce qu’on est des citoyens du monde et la pollution en Chine pollue au niveau mondial. Quand on importe une marchandise produite à 10.000 km, elle pollue beaucoup plus que de la produire sur place. Le premier acte écologique c’est de relocaliser. Et le but est aussi d’arrêter cette spirale des déficits parce que pour un emploi industriel on a 2 ou 3 emplois de service. Ce n’est pas parce qu’on aurait plus d’industries que le pays serait ultra pollué il ne faut pas non plus avoir un tableau trop noir, des pays comme la Suisse ou comme l’Allemagne, sont plus industrialisés que nous mais ne sont pas les plus gros pollueurs. La France a besoin de ses productions [agricoles, industrielles] et c’est son intérêt. Et non d’être un musée à ciel ouvert pour touristes chinois et américains mais qui ne produit plus rien et qui va s’appauvrir. Je ne pense pas que ce soit le destin que souhaitent les Français, bien au contraire.

Eric Verhaeghe : C’est là que je suis en désaccord avec vous. Je pense qu’il y a en France plus de gens qui sont favorables à – je vais paraphraser Macron – à un « modèle amish » c’est-à-dire un modèle finalement très nostalgique, sans usines, une France agricole où on dépense sans compter. Je pense qu’il y a davantage de Français qui « planent », qui se disent « on ne veut pas faire d’effort », c’est la théorie du « monde d’après », où il va falloir faire des efforts pour payer la crise. La majorité des Français disent que la crise n’est pas de leur fait, ils n’ont pas à la payer. Ils trouvent que le chômage partiel étendu, la dépense publique élevée c’est très bien, plus il y a de dépense publique, mieux c’est, il faut remettre de l’argent dans les hôpitaux même s’il y a aujourd’hui au moins 200.000 bureaucrates dans les hôpitaux.

Charles-Henri Gallois : Concernant l’emploi c’est une question de choix. On ne veut pas plus de bureaucrates dans les hôpitaux mais plus de personnel soignant.

Eric Verhaeghe : Ce que vous dites, c’est qu’il faut supprimer les emplois de bureaucrates dans les hôpitaux et les transformer en emplois de personnel soignant. Majoritairement les syndicats de la fonction publique disent : il faut plus d’infirmières, mais on ne touche pas aux emplois de bureaucrates. Quand vous allez annoncer que vous faites un plan social dans l’administration, quand vous faites ce qu’on appelle une loi de dégagement des cadres, quand vous expliquez que vous allez licencier 100.000 bureaucrates dans les hôpitaux, même en annonçant qu’ils seront remplacés par 100.000 infirmières, je vous garantis que vous aurez tous les syndicats de la fonction publique contre vous. Il faut le dire, le Frexit c’est supprimer au moins 100.000 emplois administratifs dans les hôpitaux publics. Il y a aujourd’hui 180.000 emplois administratifs dans les hôpitaux publics, si on leur appliquait les normes des cliniques privées, on supprimerait 90.000 emplois administratifs dans les hôpitaux publics. C’est ça la réalité statistique moyenne. Les Français doivent savoir que le Frexit se traduira par des mesures socialement douloureuses – que personnellement j’appelle de mes voeux, ce sera un moment de vérité.

Charles-Henri Gallois : C’est une question de choix à faire, remplacer tels emplois par tels autres ce n’est pas une démarche d’austérité. Les Français soutiendront le projet de remplacer des emplois administratifs par des emplois de personnel soignant.

Eric Verhaeghe : Je suis partisan du Frexit car c’est la seule façon d’obliger la France à se réformer, à se moderniser. Réformer ne signifie pas faire des réformettes, mais faire des choix radicaux. Si nous faisons le Frexit nous ne pourrons pas continuer à augmenter les dépenses publiques et conserver des emplois de bureau peu productifs ; ni embaucher davantage de fonctionnaires ni augmenter les impôts pour financer en permanence les dépenses publiques.


Je suis partisan du Frexit
car c’est la seule façon d’obliger la France
à se réformer, à se moderniser.


Charles-Henri Gallois : Le projet du Frexit n’implique pas d’embaucher davantage de fonctionnaires. Le projet est de reprendre le contrôle au niveau industriel c’est-à-dire réindustrialiser la France. Ce qui ne signifie pas recruter des fonctionnaires en plus. Il faudra qu’il y ait un investissement initial de l’Etat pour toutes les activités qui ne pourraient pas être prises en charge par le privé parce que n’ayant pas une rentabilité immédiate. Par exemple toutes les entreprises américaines de nouvelles technologies ont été financées par des plans militaires et autres donc financées par des fonds publics américains.

Eric Verhaeghe : Selon vous, qu’est-ce que l’Etat devrait financer dans les nouvelles technologies en France ?

Charles-Henri Gallois : La souveraineté numérique me paraît essentielle. Cela ne signifie pas recruter une armée de fonctionnaires, mais investir initialement de l’argent public avant que le privé puisse prendre le relais.

Eric Verhaeghe : Relancer Iter, par exemple.

Charles-Henri Gallois : On parle beaucoup de What’s App, Facebook et autres, il y a une entreprise privée française qui a créé un logiciel sur ce créneau elle s’appelle Holleville, l’Etat doit pousser ces pépites dans le but d’avoir à terme une souveraineté numérique. Quand l’initiative vient du privé, il faut l’aider. Dans l’industrie plus lourde, les hautes technologies, pour relancer les filières il faut avoir un protectionnisme intelligent et ciblé. Cela ne signifie pas d’augmenter les droits de douane sur tous les produits mais le faire sur la filière qui va être relancée, avoir une politique d’Etat stratège, de protectionnisme ciblé pour relancer les activités et pour qu’elles soient rentables pour le privé. La réindustrialisation : on ne peut pas tout faire du jour au lendemain c’est un chantier sur 15 ou 20 ans qui passera à la fois par un investissement de l’Etat et par un protectionnisme ciblé sur les filières que l’on veut relancer.

Eric Verhaeghe : Quelles pourraient être ces filières ?

Charles-Henri Gallois : Il y a le numérique et la santé, tout ce qui concerne la souveraineté sanitaire. 8 principes actifs sur 10 sont fabriqués en Chine. Il faudrait faire un protectionnisme sur ces produits vis-à-vis de la Chine et d’autres pays producteurs pour inciter les industriels français à se positionner sur ces technologies parce qu’elles seront rentables.

Eric Verhaeghe : Ce protectionnisme vis-à-vis de la Chine se manifesterait comment ? Comment faire concrètement pour produire des médicaments en France plutôt qu’en Chine ?

Charles-Henri Gallois : On augmente les droits de douane sur ces médicaments vis-à-vis de la Chine et on aide les entreprises en France pour relancer la filière. Il n’y a pas 36 solutions.

Eric Verhaeghe : Cela contrevient de mon point de vue à ce que beaucoup de personnes qui soutiennent le Frexit répètent en boucle ; « on aide trop les entreprises ». Ce que vous dites c’est qu’il faut subventionner les entreprises.

Charles-Henri Gallois : Il faut le faire. Mais dans le cadre de l’U.E. on n’a pas le droit de le faire, pas le droit de choisir. C’est pour cela par exemple qu’on a fait le CICE, une mesure absurde qui saupoudre tout le monde même des activités comme celle de la Poste ou de Carrefour qui ne sont pas dans le grand jeu de concurrence industrielle au niveau mondial. L’Union européenne oblige à subventionner tout le monde et cela coûte très cher.

Eric Verhaeghe : Il faut préciser que le CICE a permis à la Poste d’engranger 500 millions d’euros par an qui ont été complètement gaspillés.

Charles-Henri Gallois : C’est absurde parce que ce sont des secteurs qui ne sont pas vraiment touchés par la concurrence internationale, mais les règles européennes obligent à saupoudrer tout le monde. Quand vous sortez de ce cadre là comme l’ont fait les Britanniques vous pouvez cibler un secteur à soutenir par exemple sanitaire. Si on veut réindustrialiser et cibler certaines entreprises dans ce but, c’est possible seulement en sortant de l’U.E.


Si on veut réindustrialiser et soutenir certaines entreprises,
c’est possible seulement en sortant de l’U.E.


Eric Verhaeghe : Pourriez vous nous expliquer, si on relocalise la production industrielle en France avec des barrières douanières à l’entrée, il y aura des barrières douanières à la sortie, les autres pays réagiront. Comment fera-t-on pour vendre à l’étranger dans ces conditions ?

Charles-Henri Gallois : Les droits de douane imposés aux produits pour entrer dans l’U.E. sont les plus faibles du monde 2,4%, la Chine a des niveaux bien supérieurs.

Eric Verhaeghe : Aujourd’hui l’essentiel de nos clients sont en Europe. Comment fera la France pour vendre en Allemagne si elle fait ce que vous dites, c’est-à-dire si on se met à subventionner des entreprises ? Est-ce que vous pensez qu’on arrivera à vendre nos produits aux Allemands ?

Charles-Henri Gallois : Nous avons l’exemple britannique. Je ne suis pas partisan de remettre des droits de douane avec absolument tout le monde et les pays d’Europe de l’ouest qui ont un niveau de vie à peu près similaire il n’y a pas de raison d’avoir des droits de douane énormes vis-à-vis de ces pays là. On voit que le Royaume-Uni a un accès sans quota et sans droits de douane à l’U.E. ce qui ne va pas les empêcher, contrairement à ce qui a été dit, de pouvoir subventionner les industries qu’ils veulent subventionner.

Eric Verhaeghe : La France a aujourd’hui un poids socio-fiscal c’est-à-dire une fiscalité sur les entreprises qui en gros est supérieure à la fiscalité allemande d’un équivalent de 100 à 150 milliards dû notamment au coût exorbitant de notre protection sociale. Est-ce que vous pensez que dans un monde où il n’y aurait plus l’euro et où nous devrions vivre de notre propre monnaie, est-ce que vous pensez et à quelles conditions arriverons-nous à vendre nos produits en Allemagne ? La Clio au lieu de la vendre 20.000€ on devra la vendre 25.000€ parce que nos coûts de production auront explosé.

Charles-Henri Gallois : Si nous sortons de la zone euro, l’Allemagne reprendra ses marques et le différentiel sera inverse, les produits allemands seront plus chers . Nous ne sommes pas sur les mêmes segments commerciaux que l’Allemagne.

Eric Verhaeghe : L’Allemagne a ce qu’on appelle une « compétitivité hors prix » : les consommateurs achètent une Audi même si elle coûte 25% plus cher que des voitures françaises de cylindrée équivalente.

Charles-Henri Gallois : La France et l’Allemagne ne sont pas vraiment concurrents sur l’automobile car ils ne vendent pas les mêmes gammes de produits, pour l’automobile haut de gamme allemande nous ne sommes pas des concurrents pour eux – nous sommes éventuellement en concurrence avec Volkswagen et Opel.

Eric Verhaeghe : Les marques d’automobiles ont largement délocalisé leurs usines c’est le cas de Dacia (Renault s’est développé grâce à la marque Dacia). Il y a à peu près autant d’entreprises françaises que d’entreprises allemandes qui se sont développées sur les marchés internationaux, les Français ont autant de multinationales que les Allemands. A une différence près, c’est que les multinationales allemandes créent beaucoup d’emplois en Allemagne, et les multinationales françaises détestent créer des emplois en France parce que c’est trop cher et trop compliqué à faire, trop réglementé, trop d’interventions de l’Etat. Est-ce que vous pensez raisonnablement qu’en augmentant ce mal, c’est-à-dire en vivant tout seuls et en nous coupant de nos bases arrière qui servent à faire vivre nos multinationales, si vous leur dites de revenir en France, est-ce que ça va marcher ? Si vous dites à Dacia vous fabriquez dans des usines en France, est-ce que vous pensez que Dacia pourra vendre ses voitures ?

Charles-Henri Gallois : C’est un processus qui se fera sur 10 ou 15 ans. Il faut un Etat stratège et des barrières douanières ciblées sur certains produits, pas sur tous.

Eric Verhaeghe : Est-ce que vous pensez qu’on pourra continuer à avoir une protection sociale plus coûteuse et plus élevée que celle de nos concurrents si nous sortons de l’U.E. ?

Charles-Henri Gallois : Avec notre propre monnaie, une dévaluation (de la monnaie) et une autre économie, c’est possible – mais on ne pourra pas dépenser plus. De 1970 à 1982 on est passé de un Deutsche Mark = 1,5 francs à un Deutsche Mark = 3 francs. De 1970 à 1982 la France avait une meilleure croissance que l’Allemagne.

Eric Verhaeghe : Il faut être transparents, il faut dire aux gens que le modèle que l’on propose avec le Frexit est d’avoir une monnaie nationale et il faudra la dévaluer régulièrement pour préserver nos entreprises, et que si on veut conserver une protection sociale dans le cadre du Frexit, il faudra supprimer des dépenses publiques et on devra accepter des dévaluations régulières de notre monnaie. Ce qui me gênerait c’est qu’on dise aux Français on fait le Frexit sans leur préciser que le prix à payer c’est ça. Le prix à payer pour le Frexit n’est pas neutre. C’est de la démagogie de dire aux gens que le Frexit est une baguette magique qui va permettre de s’enrichir, de vivre bien sans efforts, comme on le fait aujourd’hui.

Charles-Henri Gallois : A ceux qui disent le Frexit serait une catastrophe, je réponds que la catastrophe c’est maintenant, la désindustrialisation. Le Frexit permettrait de prendre le contrôle, de retrouver notre souveraineté. Le Frexit est la condition nécessaire mais non suffisante pour être souverains. Il faut aussi une réindustrialisation qui prendra 15 ou 20 ans. Le Frexit permettrait d’avoir les conditions nécessaires mais il y aura tout un travail derrière pour réindustrialiser.


Le Frexit est la condition nécessaire mais non suffisante
pour être souverains.


Eric Verhaeghe : Quand on parle du Frexit on passe en revue tous les inconvénients, et je suis d’accord, la zone euro est celle qui a le moins de croissance aujourd’hui dans le monde.

Charles-Henri Gallois : Et le plus fort taux de chômage.

Eric Verhaeghe : Mais on oublie de parler des inconvénients qu’il y aura à en sortir, il y aura un coût social. Faire croire que le Frexit permettra de s’émanciper de toute contrainte budgétaire est un énorme mensonge puisque c’est exactement le contraire qui se produira, il y aura beaucoup plus de contraintes budgétaires sans la garantie allemande qu’avec la garantie allemande. Les gens n’ont pas compris que le Frexit c’est l’austérité budgétaire garantie.

Charles-Henri Gallois : L’austérité c’est aujourd’hui pour rester dans la zone euro qui est une catastrophe pour la France. Si on retrouve des marges de manoeuvre avec une meilleure croissance on ne sera pas dans une dynamique d’austérité.

Eric Verhaeghe : Je suis pour le Frexit car il nous obligera à ne plus avoir de déficits budgétaires et il nous obligera à tailler dans les sureffectifs de la fonction publique qui étouffent l’économie aujourd’hui.

Publié sur le site « Des Livres et Nous » de Laetizia Graziani : https://deslivresetnous769849013.wordpress.com/2021/04/18/27697/

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