Souveraineté ou mondialisation : la recherche d’une troisième voie
Transcription par Laetizia Graziani
Souveraineté ou mondialisation : la recherche d’une troisième voie
par Alain Juillet
14 avril 2021
Publier la vidéo d’Alain Juillet ne signifie pas que nous partagions ses analyses sur toutes les questions traitées.
Tous les jours des groupes de pression remettent en cause notre pays, son histoire, sa culture ou ses valeurs. Leur objectif est de le diluer dans une entité cosmopolite plus vaste, moins contraignante, après en avoir fait disparaître ses fondamentaux. Pour eux qui refusent l’histoire et ne s’intéressent qu’au présent, la souveraineté nationale ou populaire est inacceptable car assimilée aux régimes dictatoriaux ou à une vision dépassée de l’intérêt national. Des élites nous encouragent à abandonner l’idée de nation française pour nous rallier à une Europe parée de toutes les vertus.
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Souveraineté
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Elles veulent ignorer la définition internationale de la souveraineté qui est le droit absolu d’exercer une autorité législative, judiciaire et administrative sur un pays ou un peuple.
C’est aussi sa capacité d’indépendance par rapport aux pays qui l’entourent. Elle peut être totale ou réserver un certain nombre de domaines étatiques essentiels comme la justice, la défense, les affaires étrangères, les finances et la sécurité.
En France la défense de la souveraineté a toujours été le socle de la république cher aux soldats de l’an II, à Clemenceau ou au général de Gaulle. Son fonctionnement implique l’existence d’un système représentatif dans lequel le pouvoir est :
– soit détenu exclusivement par des élus, sachant que la réalisation de la souveraineté est indivisible, inaliénable et imprescriptible pour la durée de leur mandat ;
– soit plus directement par le peuple à travers des votes et référendums [démocratie directe].
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Déclin de l’autorité
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En France la Ve république est un mélange des deux qui s’accompagne d’une réduction progressive du principe d’autorité du fait de la pression médiatique, des réseaux sociaux et des associations. Malheureusement nombre de ceux qui exercent le pouvoir on accepté cette dérive pour des raisons idéologiques ou plus prosaïquement électorales.
Il suffit de rappeler les fondements de notre société issue de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et de la Constitution de 1958 et de les confronter aux développements du processus européen et du concept de mondialisation pour comprendre que nous sommes aujourd’hui face à un problème grave menaçant notre société tiraillée au gré des idéologies de nos gouvernants.
Nous devons trouver une solution rationnelle et acceptable par tous. Elle doit d’une part satisfaire les souverainistes qui accusent le pouvoir d’abandonner l’Etat nation et d’autre part les mondialistes qui, de la provincialisation à l’abolition des frontières de tous ordres, prêchent pour la disparition de l’État jacobin dans une entité continentale ou planétaire.
Lors de la création du marché commun, l’idée était de rapprocher les pays fondateurs pour agir conjointement dans tous les domaines non régaliens et d’échanger régulièrement entre eux pour se coordonner sur le reste, chacun gardant son indépendance et sa souveraineté.
L’entrée de la Grande-Bretagne dans la C.E.E (1973) devenue U.E. (1993), avec sa vision fédérative de l’Europe a progressivement orienté l’ensemble du groupe sur la voie du commerce et du libre échange.
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« Un coup d’Etat au ralenti »
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Après Maastricht (1992) et par la voix du parlement européen, des lois contraignantes dans des domaines divers se sont progressivement imposées à tous comme supranationales. Le peuple français ayant compris que l’accord mettait en cause les principes de sa souveraineté l’a rejeté lors du référendum de 2005, et le gouvernement français dans un déni de démocratie n’en a tenu aucun compte.
La création de la monnaie unique qui impose des règles communes dans le domaine des finances ; les accords de Schengen dans le domaine de la sécurité, ont été les premières étapes d’une destruction progressive des domaines régaliens.
Ces ingérences dans les domaines réservés de chaque État étaient justifiées par la volonté politique des dirigeants des différents pays de lancer les premières étapes de la création d’une Europe unie. Force est de constater que la suite a consisté principalement dans la construction d’une énorme bureaucratie autour de la Commission européenne qui est venue s’ajouter à la bureaucratie française.
Paradoxalement alors que le gouvernement français pouvait à l’époque prendre le leadership pour faire évoluer l’ensemble vers une unité ou une fédération européenne, il s’est constamment caché derrière les décisions de Bruxelles pour ne pas avoir à les assumer. Dans le même temps, il ne donnait pas à la Commission européenne les pouvoirs dont elle avait besoin pour exercer réellement sa propre souveraineté.
L’entrée en masse dans l’U.E. des pays de l’est et du nord, accueillis au nom de la géopolitique des blocs, bien qu’éloignée de nos objectifs et de notre vision de l’Europe, a rendu l’ensemble ingouvernable.
S’appuyant sur le mythe de l’indépendance nationale, alors que des pans entiers de l’activité en étaient progressivement exclus, nos gouvernements ont seulement cherché à tirer avantage d’une situation bancale sans entamer une réflexion indispensable sur les réformes nécessaires.
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Abolition des frontières nationales
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Dans le même temps, l’approche mondialiste défendue par les Américains a construit méthodiquement les bases d’une abolition des frontières pour favoriser la liberté des échanges [le libre échange]. Ils l’ont mise en oeuvre par le biais des organisations internationales ; de traités à vocation continentale ou universelle ; du dollar devenu la monnaie essentielle des échanges ; de lois extraterritoriales qu’on peut qualifier d’impérialistes ; et d’une médiatisation sans partage en s’appuyant sur les élites et leur capacité d’influence.
Ils y ont ajouté la mise en oeuvre de la théorie de Friedman sur la création de valeur exclusivement pour l’actionnaire, qui l’éloigne du marché en lui permettant de sortir de son rôle traditionnel de répartiteur des profits entre les différents acteurs locaux de la filière. Tandis que les États-Unis en engrangeaient directement les bénéfices, les pays occidentaux y voyaient la solution de leurs problèmes et les pays émergents n’avaient d’autre choix que de s’y rallier pour pouvoir évoluer.
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Sur le libre échange
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Nul ne peut nier l’effet bénéfique de cette politique dans la création de compétitivité et la croissance du volume des échanges. Le libre échange est l’option idéale quand tous les partenaires respectent la règle du jeu. Malheureusement l’expérience montre que si l’un des acteurs choisit de faire cavalier seul en instaurant par exemple des taxe protectionnistes ou en mettant en place des lois dissymétriques, la mondialisation se révèle un piège pour tous les autres. Les mesures prises par le président Trump en ont été une démonstration affligeante.
Comme l’ont bien compris les Chinois, il suffit d’un déséquilibre fiscal, d’un différentiel de charges sociales, d’une faiblesse de pression environnementale ou d’une aide étatique pour qu’un pays et sa population se placent au-dessus des autres dans la compétition mondiale
La mondialisation favorise les plus puissants et les plus riches, obligeant tous les autres à se rallier. Ceci est valable pour les États comme comme pour les multinationales qui sont pour certaines devenues plus puissantes [et plus riches ndlr] que les États.
Par conséquent, l’indépendance absolue d’une puissance moyenne comme la France – je rappelle qu’elle est descendue à la 7e place mondiale cette année – est impossible dans l’environnement de la mondialisation. Les rapports de force requis pour pouvoir négocier des accords d’État à État préservant réellement et équitablement les intérêts de chacun, exigent d’avoir une taille suffisante. Pour de Gaulle et Adenauer qui s’opposaient à la vision atlantiste de Jean Monnet et Paul Henri Spaak, le marché commun constitué de six États nations était la solution face à l’affrontement des deux blocs de l’époque.
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Une Europe à six plus homogène et plus souple
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L’Europe des 6 comprenait : France, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Italie, Belgique.
C’était une Europe homogène regroupant un petit nombre de pays de taille significative unis par la culture, le climat, l’histoire, des habitudes, les possibilités énergétiques et industrielles, sans oublier la volonté politique. En dehors des domaines mis en commun, chaque pays conservait ses propres règles lui permettant d’affirmer sa spécificité. Ce groupe était suffisamment puissant pour négocier des règles d’échanges équilibrées et imposer des mesures de rétorsion en cas de déséquilibres conjoncturels ou provoqués.
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L’Europe à 27 est ingérable
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L’histoire nous a appris que la volonté de dilution des peuples dans une globalisation de l’économie aboutit toujours à un mélange de frustrations issues des inégalités de traitement ressenties par chacun des acteurs.
Il faut avoir le courage de faire le constat que l’Europe à 27 membres avec leurs divergences politiques profondes et leurs intérêts très différents ne permet de réaliser le vrai consensus que sur des sujets mineurs. Les meilleures propositions n’aboutissent généralement qu’à un consensus minimal ne permettant pas leur mise en oeuvre avec le poids nécessaire.
Ne serait-il pas justifié de faire respecter la conformité des offres [=produits de consommation] à nos propres standards ? Ne serait-il pas utile de mettre en place des règles de préférence communautaire comme le font nos amis américains avec le Buy American Act ou le Small Business Act ?
Les thuriféraires du libéralisme y sont bien évidemment opposés mais notre avenir est-il de devenir un champ de ruines ou un désert industriel peuplé de touristes américains et chinois comme l’envisageait Richard Pearl, conseiller du président Bush ?
Un bon équilibre économique ne peut être à sens unique quel qu’en soit le motif, et un accord négocié sur des bases contradictoires mais solides doit pouvoir évoluer dans le temps.
D’autre part il est l’heure de s’attaquer à la régulation des groupes financiers et industriels globaux [à l’image : les Gafam] afin qu’ils respectent la souveraineté des États qui les hébergent.
Il est d’autant plus nécessaire de réagir que la mondialisation favorise les transferts des industries à fort niveau de main d’oeuvre vers des pays plus attractifs. La montée en puissance de nouvelles start-ups est insuffisante pour en compenser les effets. Chaque départ aggrave le problème de l’emploi, devenu dans nos pays l’étalon de la réussite politique et sociale.
La mondialisation, encensée par Alain Minc, n’est pas concevable, même si la faible croissance d’un pays en fin de cycle comme le nôtre oblige les entreprises à développer leurs exportations afin de maintenir un niveau de croissance suffisant pour assurer leur pérennité.
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Une U.E. à deux ou trois vitesses
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Il est donc impératif de faire des choix et de passer des accords avec des pays ou des pôles dans lesquels chacun des pays trouvera un réel bénéfice. Il est clair que cette vision ne peut concerner l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne et l’on retrouve ainsi l’idée d’une Europe à deux ou trois vitesses, allant de l’intégration à la fédération, en fonction des intérêts réels de chacun.
Il serait donc souhaitable de prendre en compte le différentiel de contraintes sociales, sanitaires, environnementales et fiscales pour déterminer ceux qui nous sont réellement proches.
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L’Europe ne soutient pas ses industries
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Il est temps de développer en commun, du fait des montants des financements requis, les domaines d’activité stratégiques qui garantissent notre souveraineté. On ne peut que s’inquiéter de voir l’Europe, après avoir rejeté Huawei dans la 5G, être incapable de soutenir un concurrent européen [Nokia ndlr] pourtant apte à relever le défi face aux deux grandes puissances [américaine et chinoise].
On ne peut que réagir face à la volonté d’auto-destruction dans le domaine de l’armement sous la pression des écologistes ou des lobbyistes venus d’ailleurs.
Notre avenir repose sur le réalisme et non sur un dogmatisme idéologique d’ores et déjà périmé.
L’entrée dans le cyber-espace a aboli les frontières et les barrières en tous genres. Le big data, les interconnexions et les algorithmes remplacent la libre circulation des marchandises par celle de la connaissance et multiplie nos capacités d’analyse et de compréhension. Il est donc possible de contrôler les échanges en permanence pour détecter les failles et les dérives et de gérer les flux à travers des logiciels de plus en plus performants.
Certes la numérisation inéluctable du monde créera des difficultés car il va falloir s’y adapter, disposer des outils requis pour agir et avoir la volonté d’aller de l’avant. Une politique volontariste permettrait d’anticiper les risques et d’exploiter les opportunités qui s’ouvriront dans le cyber-espace. Les start-ups françaises sont en pointe et nous donnent un avantage concurrentiel important. C’est donc une priorité stratégique pour l’État de leur ouvrir la route.
Dans le domaine de la défense la France a choisi depuis longtemps une position originale dans une Europe de plus en plus pacifiste et qui préfère investir dans l’économie et le social. Instrument de souveraineté par sa force de dissuasion, elle est aussi un moyen de développement de relations et d’appui à des pays étrangers par sa capacité de projection. Tout ceci donne à la France une position internationale supérieure au sein du Conseil de sécurité face à une Allemagne qui domine sur le plan économique. Il faut en être conscient et continuer à maintenir la qualité matérielle et humaine de nos armées.
La France est également la deuxième puissance maritime du monde et à l’heure où on découvre la richesse potentielle des fonds marins il est impératif d’avoir la flotte adaptée à ce besoin de surveillance et de protection.
La France est également la deuxième puissance maritime du monde et à l’heure où on découvre la richesse potentielle des fonds marins il est impératif d’avoir la flotte adaptée à ce besoin de surveillance et de protection.
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Sécurité
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On ne peut évoquer la souveraineté face à la mondialisation sans parler des problèmes de sécurité aussi bien au niveau territorial qu’international. Nous vivons avec les islamistes radicaux une nouvelle vague de terrorisme particulièrement violente après toutes celles qui se sont succédé pour des motifs variés depuis plus d’un siècle. En considérant les variables d’interprétation des pays européens sur les accords de Schengen dans la relation au terrorisme ou dans d’autres domaines, il s’avère très difficile de travailler sérieusement au sein d’une Europe à vingt-sept qui manque de convergence globale.
On doit admettre que la lutte contre le terrorisme et tous les trafics illicites venus du nord et de l’est de l’Europe justifie qu’au-delà de nos frontières nous puissions travailler la main dans la main avec ceux qui ont les mêmes problèmes mais aussi la même volonté de les résoudre.
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Communautarisme ou intégration
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[Ou remigration ndlr]
A la différence de ses voisins anglo-saxons, la France comme tous les pays méditerranéens a toujours privilégié l’intégration par rapport au communautarisme ou à l’assimilation. Par laxisme et sous la pression idéologique, nous avons laissé depuis fort longtemps notre modèle à la dérive. La lutte contre les incivilités croissantes et les dérives sécuritaires que subissent nos concitoyens ne peut être laissée entre les mains de la Commission européenne. Elle doit commencer dans l’école de la république et se poursuivre dans un processus d’intégration s’appuyant sur la formation, la création d’emplois et les relations sociales. Tout ceci ne sera rendu possible que par le respect d’un certain nombre de règles sous peine de sanctions réellement dissuasives.
La France est à la croisée des chemins. Après avoir longtemps affirmé sa souveraineté, elle s’est jeté à corps perdu dans la mondialisation. Aujourd’hui elle s’affirme totalement européenne au moment où l’Union européenne est en crise avec une Allemagne qui en prend la place incontestée de leader. Plus sérieusement touchée par la crise [économique, sanitaire] que la plupart des pays européens, elle devra résoudre ses problèmes de façon pragmatique. Le gouvernement français doit gérer une population qui doute et croit de moins en moins à la magie du verbe.
Entre une souveraineté protectionniste qui serait ingérable, une mondialisation dont beaucoup ont compris qu’elles nous pénalise, il y a urgence à trouver une autre voie, plus réaliste, mais aussi plus ambitieuse. D’autres pays du sud de l’Europe [l’Italie ndlr] sont dans la même situation et cherchent des réponses. C’est sans doute avec eux qu’on pourra les trouver, parce que nous partageons une communauté d’histoire, de culture et d’environnement.
Certes la sortie de crise va être difficile pour la plupart des pays européens, mais en ce qui concerne la France, l’importance de sa dette et la faiblesse de ses capacités de relance va rendre la situation beaucoup plus délicate
Dans un monde en pleine évolution, ceci ne doit pas nous empêcher d’assumer nos différences et d’exploiter nos capacités en nous dotant d’une politique volontariste de relance. Loin de toute affirmation de souveraineté ou de volonté de mondialisation, c’est une question de survie. Quelles que soient les difficultés de mise en oeuvre, il faudra s’y tenir sans céder au chantage des associations partisanes, aux commentaires des médias, aux pressions des groupes d’influence de tous bords, aux actions des autres États défendant leurs propres intérêts et aux objectifs électoralistes à court terme qui nous font tant de mal. Quand il y a une vision, on trouve un chemin.
Les sous-titres ont été ajoutés par nous ainsi que les notations [entre crochets].
One Comment
Francis-Claude Neri
Dans un contexte de dépolitisation voulu à la fois par la droite et par la gauche, les appareils partisans déconsidérés ne veulent surtout pas voir que leur stratégie est contestée par l’ensemble des électeurs qui veut le rassemblement en dehors du « clivage « droite -gauche » sur la seule base des intérêts et des valeurs de la France.