Cygne Noir,  Islam

Que défendons-nous quand on défend Mila ?

Voilà un texte magnifique, lisible, clair, imparable ; un hymne à la liberté de penser, de dire et de vivre ; celle de Mila, et aussi la nôtre à toutes et tous.
PhilH

Raphaël Enthoven

Que défendons-nous quand on défend Mila ?

De Raphaël Enthoven

04 juillet 2021

Mon discours à la fête du Printemps Républicain


Pourquoi faut-il non seulement défendre, mais aussi protéger #Mila ?


Que défendons-nous quand on défend Mila ?

La liberté d’expression.
La différence entre le blasphème et le racisme – ou entre l’offense et l’humiliation.
Le droit de mettre un doigt dans le cul à Celui qui, jusqu’à nouvel ordre, n’est pas un individu.

Nous savons tout ça.

Ce qu’on sait moins, ce qu’on se dit moins souvent, c’est que le harcèlement dont Mila fait l’objet n’a pas seulement pour but de l’empêcher de dire ce qu’elle veut, mais aussi (et peut-être surtout) d’entraver son désir, sa fantaisie, son goût – si le cœur lui chante – de se moquer du Dieu qu’elle veut.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas seulement la liberté de dire ce qu’on veut, c’est aussi la liberté de vouloir ce qu’on veut.
A la seconde où Mila (ou bien toute personne qui fait l’objet des mêmes menaces sans avoir transgressé la moindre loi) s’interdit elle-même de dire ce qu’elle veut pour éviter les ennuis, nous perdons la partie.

Il y a deux niveaux de liberté, ici.

La liberté qui s’arrête là où commence celle de l’autre. Liberté d’expression, dont Mila n’a jamais transgressé les limites.
Et la liberté qui commence là où commence celle de l’autre, la liberté de désirer ce qu’on veut, de vouloir ce qu’on veut. La liberté qu’on décourage quand on suggère à une grande gueule de la fermer même quand elle ne commet aucun délit. Cette liberté, je l’appellerais, comme Foucault, la liberté intransitive.

La 1ère liberté est défendue par le droit. Et, dans le cas de Mila, par le meilleur des avocats.

La 2nde liberté se situe en-deçà du droit, dans la jungle des opinions, au niveau des meutes, dont il ne suffira pas de condamner treize cons pour dissuader le reste de mordre et de haïr. Dans la jungle des opinions, des monstres se forment, des golems, des éléphants, des anacondas destinés à étouffer de leur poids et de leur vindicte la parole qui déplaît. Et là, il ne suffit plus de défendre Mila. Il ne suffit plus de la loi. Il faut la solidarité active d’une cohorte de citoyens qui dressent une digue contre la tentation de baisser les bras et d’éviter les ennuis. Il faut que Mila sache que, comme nous tous, elle peut continuer à mettre tous les doigts qu’elle veut dans le rectum du Dieu de son choix. La vie, dit Romain Gary dans Gros-Câlin, ça demande des encouragements.

J’insiste sur ce point : c’est en-deçà de la loi que le combat se mène. Dans notre hyper-démocratie, les tribunaux populaires échappent eux-mêmes, bien souvent, à l’emprise du droit. Et d’une certaine manière, c’est tant mieux. Les tribunaux populaires sont un dommage collatéral de la liberté d’expression. Leur existence et leurs manœuvres liberticides prouvent que nous sommes dans un pays de libertés. Mais, de l’autre côté, la liberté dont on dispose ne sert à rien quand on renonce à s’en servir. Et c’est contre un tel renoncement qu’il faut se battre.


Mila

Défendre Mila de toute la force de la loi, c’est une chose. Faire en sorte que le calcul des emmerdes ne l’emporte pas en elle, comme en chacun, sur le désir d’être libre et de dire ce qu’on veut, c’en est une autre.


Ecoutez #Tocqueville décrire (en 1835) la situation de Mila.

« En Amérique, la majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. Au-dedans de ces limites, il est libre; mais malheur à lui s’il ose en sortir. Il est en butte à des dégoûts de tous genres et à des persécutions de tous les jours… On lui refuse tout, jusqu’à la gloire… ceux qui le blâment s’expriment hautement, et ceux qui pensent comme lui, sans avoir son courage, se taisent et s’éloignent. Il cède, il plie enfin sous l’effort de chaque jour, et rentre dans le silence, comme s’il éprouvait des remords d’avoir dit vrai. »
Voilà ce qu’il faut éviter à tout prix.

Ce qu’il faut éviter (pour Mila mais pas seulement : pour les professeurs qu’on menace et qui sont tentés de se censurer, les médecins qu’on veut soudoyer, les piscines qu’on assiège etc), ce qu’il faut éviter, c’est que Mila et tous ceux dont elle est le nom « rentrent dans le silence, comme s’ils éprouvaient des remords d’avoir dit vrai »…

Ce qu’il faut éviter, c’est le découragement. C’est l’envie – bien compréhensible – de préférer la tranquillité aux emmerdes. C’est l’envie de ne pas énerver les imbéciles et les gens violents qui confondent l’offense et l’humiliation, le blasphème et le racisme, et voudrait que la loi s’étende à tout ce qui choque. Ou que le sentiment d’être choqué soit un critère, une excuse, une circonstance atténuante, une explication, voire une cause suffisante de traîner quelqu’un en justice. (Un monde où une telle chose serait possible, un monde où la loi punirait ce qui offense (et non ce qui humilie), un monde où la provocation serait punissable, serait, de toutes les dictatures, la pire. Un tel monde serait ni plus ni moins que l’institutionnalisation des tribunaux populaires et l’exercice permanent, au nom du « respect », d’une justice sans appel et sans avocat.) C’est la raison pour laquelle, même s’il est possible de se sentir offensé par les paroles de Mila, il est faux (et dangereux) de lui imputer la moindre volonté d’humilier un groupe de personnes en vertu de leur appartenance. Et c’est la raison pour laquelle Mila doit être défendue mais aussi, et d’abord, protégée.

Ce monde-là, le monde où la loi punit ce qui choque (et non pas seulement ce qui humilie) n’arrivera pas. En tout cas, nous n’en sommes pas là. Mais ce monde-là existe pourtant, encore une fois, à l’abri de la loi, sous la forme d’un despotisme sournois que Tocqueville appelle la « tyrannie de la majorité » et qui trouve dans les réseaux sociaux un démultiplicateur si puissant que l’opinion a désormais, parfois, quasiment force de loi, puisqu’elle parvient à obtenir qu’une victime se cache, tandis que ses bourreaux continuent tranquillement leur sale petite vie.

Alexis de Tocqueville

En démocratie, dit encore Tocqueville « Le maître n’y dit plus : Vous penserez comme moi, ou vous mourrez ; il dit : Vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous. Vous garderez vos privilèges à la cité, mais ils vous deviendront inutiles ; car si vous briguez le choix de vos conci¬toyens, ils ne vous l’accorderont point, et si vous ne demandez que leur estime, ils feindront encore de vous la refuser. Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. »

Quelle meilleure description d’une jeune fille qui se dit elle-même « emprisonnée dans son propre pays » ? Quelle meilleure façon de décrire la situation de quelqu’un qui n’a rien dit d’illégal mais qui a provoqué tant de colère et tant de terreur qu’au lieu de s’insurger contre les gens qui la menacent, des personnalités éminentes se sont insurgés contre la grossièreté de leur victime ? En matière de reptation, de soumission, de démission, on n’a pas trouvé mieux que les donneurs de leçons.


Et puis il y a #LaurenBastide.
On va quand même parler de Lauren Bastide.


  • 1) Madame Bastide reconnaît que Mila fait l’objet d’un harcèlement homophobe.
  • 2) Au lieu de s’indigner, en féministe, du harcèlement subi par une femme, Lauren Bastide présente le calvaire de Mila comme le cache-sexe d’autres harcèlements qu’on aurait passés sous silence.
  • 3) Elle décrit Mila comme raciste… Ce qui donne au harceleur le sentiment de lutter contre la haine en souhaitant ouvertement la mort d’une jeune fille. Les propos de Madame Bastide sont de même nature que les propos d’Edwy Plenel qui voyait une « guerre aux musulmans » dans le dessin de sa moustache en Une de Charlie-Hebdo.

2 remarques :

  1. Les gens qui nient l’existence de l’#islamogauchisme sont invités à dire quel mot convient pour qualifier le fait qu’une hyper-féministe se refuse à défendre une jeune femme qu’elle accuse de racisme envers une communauté toute entière alors qu’elle n’a fait que répondre à des insultes homophobes au nom de l’Islam.
  2. Il n’y a aucune différence entre les salauds qui, pour échapper au jugement, donnent une raison d’agir aux coupeurs de tête, entre les raisonneuses qui disent « Mila est raciste, donc elle n’a pas volé ce qui lui arrive et par conséquent je ne la défends pas » et les violeurs qui disent « cette femme est responsable de MON crime puisqu’elle portait des vêtements légers, et je n’ai fait, en l’agressant, que répondre à sa provocation ».

Pensons un instant comme Lauren Bastide : Supprimons les insultes pour supprimer les menaces. Supprimons les mini-jupes pour supprimer le viol. Supprimons les serrures pour supprimer les vols. Supprimons les asiles pour supprimer les fous. A toute époque, la même logique démente, la logique dite de l’excuse, qui consiste à voir dans une agression la preuve que la victime elle-même est coupable, répand ses métastases…


Mais il ne faut pas trop s’indigner, sinon on ne s’aperçoit pas qu’on est ici, avec l’argumentaire si bête de Lauren Bastide, au cœur des contradictions de l’#intersectionnalité.


L’intersectionnalité – qui avait tout son sens quand il était question, pour les femmes noires, de lutter, dans les années 70, sur le double front du patriarcat et du racisme – sert aujourd’hui à hiérarchiser les luttes, et à le faire systématiquement aux dépens du féminisme.

L’intersectionnalité, c’est la minoration du féminisme au profit d’un antiracisme ivre de lui-même.

L’intersectionnalité, c’est le charabia qui permet au militant de trouver le sommeil alors qu’il se proclame « féministe » tout en refusant de défendre la jeune femme qui fait l’objet de centaines de milliers de menaces de mort. Et il faudra tous les jours s’étonner de cette infamie. Tant que Mila n’aura pas le droit de vivre exactement comme tout le monde, il faudra s’indigner que des fausses féministes s’abstiennent de la soutenir ou la soutiennent du bout des lèvres. Ce qui, d’une certaine manière, est pire.


J’en reviens à l’essentiel. C’est-à-dire à la liberté intransitive.


Si Mila (et par « Mila », je ne désigne pas seulement Mila, mais tous ceux qui, comme nous, ont le sentiment que nos libertés sont en train de mourir sous l’alibi du respect), si Mila baisse les bras, la République baisse la garde.

Et la loi ne peut rien contre ça.

La loi ne peut rien contre des élus écologistes qui invoquent des questions de procédure pour ajourner l’hommage à Samuel Paty.
La loi ne peut rien contre le fait que, 260 jours après sa décapitation, aucun collège de France ne porte le nom de Samuel Paty.
La loi ne peut rien contre la peur.
La loi ne peut rien contre le dessinateur qui s’autocensure, contre le démagogue qui dit « oui, mais… » devant Mila, contre la politicienne vénale qui la sermonne sur son vocabulaire au lieu de la protéger, la loi est impuissante.
La loi ne peut rien contre le Maire de Grenoble, #EricPiolle, qui n’a pas de mots assez durs pour dénoncer les délinquants qui ont offert des fleurs à #AliceCoffin mais qui n’a pas assez de silence pour se taire devant les agressions dont Mila fait l’objet.
La loi ne peut rien contre les girouettes, les égoïstes, les fausses féministes, les gens qui se couchent devant le danger et qui accusent les autres d’énerver leur agresseur en restant debout.
La loi ne peut rien contre le désir de se soumettre, et le sacrifice de sa liberté.
C’est donc à nous, citoyens engagés, d’agir et de se battre sur le terrain non pas du droit, mais de l’opinion. Parce qu’une liberté dont ne se sert pas et qu’on ne rallume pas constamment, est une liberté qui meurt, malgré la loi.

Raphaël Enthoven

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Je suis moins sérieux que j'en ai l'air.

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